Nous avons pu assister au cours des dernières années à un véritable enthousiasme autour des Bitcoins et plus largement des cryptomonnaies.
Mais alors que de nombreuses personnes disposent désormais de ce type d’actifs pouvant parfois représenter des sommes colossales, la question se pose de leur transmission au moment du décès de leur détenteur.
Comment s’organise la succession et qu’en est-il des lois supposées l’encadrer lorsque le patrimoine à transmettre est immatériel par nature ?
Fiscalité appliquée aux cryptomonnaies
Depuis 2014, les Bitcoins et autres cryptomonnaies sont considérés par l’administration fiscale comme des unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique, pouvant être valorisées et utilisées comme outil spéculatif [1].
A ce titre, toute plus-value tirée de la vente de cryptomonnaies est soumise à l’impôt sur le revenu et aux droits de succession.
Afin de mieux comprendre à quelle catégorie de revenu les gains issus de la vente de cryptomonnaies seront rattachés, il est bon de s’intéresser à la fréquence de l’activité.
Quand la vente de ces actif est occasionnelle, les gains sont rattachés au régime des biens meubles [2] et ne sont donc pas soumis à l’impôt s’ils représentent moins de 5000 euros.
En revanche lorsque le gain est lié à une activité de minage ou hachage cryptographique (voir plus bas), même si la vente est unique, il sera soumis au régime des bénéfices non commerciaux [3].
Si ces activités de minage sont régulières, les gains issus de la vente de cryptomonnaies doivent être déclarés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux [4].
De la même manière, les cryptomonnaies sont désormais considérées comme faisant partie intégrante du patrimoine de leur possesseur, qui a l’obligation de les faire figurer dans sa déclaration de succession [5].
Au moment du décès d’un détenteur de Bitcoins ou plus largement de monnaies virtuelles, ses héritiers ou légataires doivent donc, en théorie, se soumettre à des droits de succession ou de donation.
Seulement, entre la théorie et la pratique, il existe parfois de grandes contradictions.
Dans le cas des cryptomonnaies, ces contradictions peuvent être expliquées par la nature même de la technologie utilisée.
Focus sur la Blockchain, pilier la cryptomonnaie
Révélée au grand public en 2008 grâce à l’arrivée du Bitcoin, la technologie blockchain, bien que son nom puisse parfois impressionner, est en fait basée sur deux principes simples et bien plus anciens de cryptographie : le hachage cryptographique et la cryptographie asymétrique.
En terme simples, le hachage cryptographique est le processus qui va permettre d’associer à une donnée ou à une information ce que l’on appelle un « hash » ou une empreinte numérique.
De la même manière qu’il est impossible de retrouver une personne physique sur la base d’une empreinte digitale lorsque l’on ne bénéficie d’aucune autre donnée d’identification, il sera impossible de remonter à une donnée ou à son propriétaire en ne bénéficiant que de l’empreinte numérique.
Un autre avantage du hachage est qu’il permet d’assurer l’intégrité de la donnée d’entrée dans la mesure où, si cette dernière est modifiée, son empreinte numérique le sera également.
La cryptographie asymétrique repose quant à elle sur un protocole de chiffrement de la donnée ou de l’information au cours duquel deux clés sont générées.
Dans un premier temps, une clé de chiffrement, ou clé publique, qui permet à son détenteur de rendre un message inintelligible par toute personne ne possédant pas la clé de déchiffrement.
Lorsqu’une transaction Bitcoin est réalisée, c’est cette clé publique qui sera visible par tous dans la Blockchain.
Dans un second temps, la clé de déchiffrement donc, ou clé privée, est celle qui permet de déchiffrer le message.
Dans le cadre de la cryptomonnaie, c’est cette clé qui permet au détenteur d’accéder à ses unités de compte virtuelles.
Si cette clé est correctement conservée et sécurisée par son détenteur, il sera alors tout simplement impossible qu’un tiers puisse accéder au portefeuille électronique en question.
Se pose alors la question du sort de cette clé au moment du décès de son détenteur.
De quelle manière peut-elle être transmise à ses héritiers et légataires et comment la succession doit-elle s’organiser ?
La succession des actif virtuels en pratique
Si on suit le raisonnement du gouvernement, aucun problème ne devrait se poser au moment de la succession.
Puisque le détenteur de cryptomonnaies a fait savoir qu’il possédait des Bitcoins en les déclarant dans ses impôts, a donné par voie de testament l’autorisation officielle à un représentant d’accéder à ses cryptomonnaies et a laissé sa clé de déchiffrement à disposition des ses héritiers ou légataires, ces derniers n’auront qu’à payer des frais de succession pour pouvoir profiter de leur héritage immatériel.
Seulement dans les faits, très rares sont les personnes qui déclarent leurs unités de compte virtuelles dans leurs impôts.
Dans la mesure où il reste relativement complexe d’associer une transaction réalisée au travers des différentes cryptomonnaies à une personne physique, le contrôle fiscal de ces actifs ne s’inscrit pas encore dans la pratique.
Ainsi, bien que cette déclaration soit désormais une obligation fixée par le droit fiscal, elle n’est en fait réalisée que sur la base du bon vouloir du détenteur de cryptomonnaies.
D’autre part, les clés de déchiffrement étant le seul moyen de pouvoir débloquer les cryptomonnaies, leurs détenteurs mettent généralement en place les mesures de sécurité nécessaires en les enregistrant par exemple sur des portefeuilles de monnaies virtuelles (Wallets) ou des clés USB chiffrées.
Il n’est donc absolument pas garanti que les héritiers ou légataires d’un possesseur de Bitcoins aient librement accès à ces clés de déchiffrement.
Il n’est d’ailleurs pas rare que les proches d’un détenteur de cryptomonnaies ignorent complètement que ce dernier possède des actifs virtuels.
Ainsi, dans de nombreux cas, ces clés de déchiffrement se retrouvent encore perdues, ou du moins inaccessibles par les héritiers ou légataires du défunt.
Nous pouvons à ce titre citer l’exemple du patron de la plateforme d’échange Canadienne Qadriga, décédé en Décembre 2018 en emportant avec lui la clé de déchiffrement lui permettant de débloquer les fonds de plus de 115000 personnes équivalents à la modeste somme de 180 millions d’euros.
Le vide juridique entourant les cryptomonnaies commence à se combler progressivement cependant il reste encore de nombreux points de blocage résultant de la décentralisation et la confidentialité assurées par la technologie Blockchain.
Nous pouvons imaginer assister au cours des prochains mois voire années à une multiplication des amendements visant à mieux réguler les actifs virtuels, notamment par le biais de la levée de l’anonymat au moment de toute transaction comme c’est déjà le cas sur de nombreuses plateformes d’échange.
D’ici là, la seule solution pour vous assurer que vos actif immatériels soient transmis, reste celle de prévenir vos proches de l’existence de cette clé de déchiffrement et indiquer sur votre testament à quelle personne vous voulez que cette dernière soit remise (par le biais d’une clé USB placée dans un coffre par exemple).
– Andréa Parisot
Sources :
[1] Code général des impôts
[2] Arrêt du 26 Avril 2018 du Conseil d’Etat
[3] Article 92 du CGI
[4] Article 34 du CGI
[5] Article 750 ter du CGI
http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/9515-PGP
https://www.cnil.fr/fr/blockchain-et-rgpd-quelles-solutions-pour-un-usage-responsable-en-presence-de-donnees-personnelles
https://www.journaldunet.fr/patrimoine/guide-des-finances-personnelles/1209336-cryptographie-asymetrique/
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