L’humanité est aujourd’hui confrontée à une crise sanitaire d’une ampleur exceptionnelle, qu’elle n’avait pas eu à affronter depuis l’épidémie de grippe espagnole de 1918, qui a fait entre 50 et 100 millions de morts.
La pandémie mondiale qui frappe actuellement tous les continents oblige plus de 80 pays à appliquer des mesures de confinement total ou partiel de leurs populations afin d’éviter l’exposition au virus. Ce sont donc quelque 3,5 milliards d’individus qui sont aujourd’hui cloîtrés chez eux, soit près de la moitié de la population mondiale.
Dans ces circonstances particulières de distanciation sociale, la télémédecine, et la téléconsultation en particulier, a connu un essor fulgurant : selon les chiffres de l’Assurance-maladie, 601 000 téléconsultations ont eu lieu entre le 1er et le 28 mars 2020, contre 40 000 en février.
Outre le besoin de consulter un médecin tout en respectant au maximum les mesures de distanciation, la téléconsultation a aussi bénéficié d’un élan amorcé par la simplification des règles encadrant la téléconsultation.
Un décret signé ce 9 mars par le ministre de la Santé, Olivier Véran, autorise les personnes ayant des doutes quant à une potentielle infection au SARS-CoV-2 à solliciter n’importe quel médecin en ligne, sans avoir besoin d’avoir vu leur médecin traitant dans l’année écoulée pour organiser une consultation à distance.
Afin de faciliter l’accès à la téléconsultation, le gouvernement a autorisé par son décret l’utilisation de solutions et d’applications grand public, tels que Whatsapp, Facetime ou encore Skype.
Cette autorisation exceptionnelle va à contre-courant des préconisations de la CNIL : selon l’autorité de contrôle française, ces logiciels n’offrent pas un niveau de sécurité et de confidentialité des données suffisant, a fortiori concernant des données de santé, réputées sensibles. L’assurance-maladie avait, quant à elle, indiqué dans un communiqué de 2018 que ces solutions peuvent être considérées comme suffisamment sécurisées pour la téléconsultation, mais pas pour l’échange de documents comportant des données médicales (photos, ordonnance, etc.)
Cette décision, bien que répondant à un besoin impérieux de lutter contre la pandémie, a été vivement décriée par les professionnels de santé et les éditeurs de solutions spécialisées dans la télémédecine.
En effet, certains des plus gros acteurs du secteur de la télémédecine sont français, et regrettent que le gouvernement n’ait pas promu leurs solutions.
C’est le cas de Doctolib, une des fameuses « licornes » française. Cette société spécialisée dans la prise de rendez-vous médicaux propose également une solution de téléconsultation et d’hébergement de données de santé sécurisée.
Au-delà de ne pas privilégier les solutions sécurisées, cette décision a également le désavantage de confier ces données très sensibles aux GAFAM, ces cinq mastodontes du numérique, qui sont aux commandes de ces applications (Whatsapp est détenu par Facebook, Facetime par Apple, tandis que Skype appartient à Microsoft.)
Les GAFAM s’intéressent aux données de santé de leurs utilisateurs déjà depuis quelques années, et ont toutes déjà engagée une démarche afin de se créer une place sur le marché florissant de la e-santé.
Microsoft a signé un partenariat avec l’institut Carnot Calym, un institut de recherche à but non lucratif qui se concentre sur le traitement et le diagnostic du lymphome. Microsoft met à disposition de l’institut lyonnais ses solutions cloud et sa suite Microsoft Azure avec ses outils de calcul.
Apple est également positionné sur le marché de la santé au numérique, mais d’une manière différente. Apple compte en effet sur sa montre connectée, la Apple Watch, pour lui fournir des données exploitables concernant la santé des utilisateurs de cette montre. Apple a l’ambition de diagnostiquer bradycardies et arythmies, mais également de pouvoir détecter les chutes ou offrir la possibilité de transmettre ces données à un médecin via Apple Health Records.
Cette stratégie va permettre à des chercheurs de mener leurs études cliniques à partir des données issues de ses applications, notamment dans le cadre de l’étude Hearing Health, concernant l’audition et menée conjointement avec l’université du Michigan, ou encore l’étude Heart and Movement, menée en collaboration avec le Brigham and Women’s Hospital de Boston et les médecins de l’American Heart Association (AHA). Elle examine la relation entre la fréquence cardiaque et les signaux de mobilité, comme le rythme de la marche, en relation avec divers indicateurs tels que les hospitalisations, les chutes, la santé cardiaque et la qualité de vie du patient.
Apple a également l’ambition de mener une future étude sur les cycles menstruels et le dépistage de nombreuses affections gynécologiques.
Après Apple, Amazon est la seconde société à annoncer l’ouverture d’une « clinique virtuelle » pour ses salariés à Seattle. Le géant de l’e-commerce va offrir à ses employés des téléconsultations et un service de prescription de médicament à distance.
Google a annoncé en septembre 2019 avoir signé un « partenariat stratégique sur 10 ans » avec la fédération hospitalo-universitaire américaine Mayo Clinic. L’objectif de ce partenariat est de « redéfinir la prestation de soins de santé » et « d’accélérer le rythme des innovations » à l’hôpital. Dans cette optique, Google a fait l’acquisition de la société d’IA en santé DeepMind Health, initiée en 2014. Cette société est entrée dans le giron de Google Health, division santé du géant de Mountain View.
En ces circonstances particulières de pandémie mondiale, Google a rejoint la lutte contre le coronavirus avec Verily, sa société sœur spécialisée dans la recherche médicale. Verily a mis en place un questionnaire d’auto-évaluation en ligne en collaboration avec les autorités californiennes, et propose un test gratuit.
Néanmoins, pour accéder au questionnaire, les utilisateurs doivent d’abord se connecter avec un compte Google, ou à s’en créer un s’ils n’en disposent pas.
Les patients soucieux de protéger leurs données personnelles et qui ne souhaiterait pas les confier à Google se verraient donc contraints à prendre le risque, en pleine pandémie, de refuser un service de santé. Google a également précisé que ces données de santé pourraient être partagées avec des tiers.
Tous ces géants du web ont une ambition commune en matière d’e-santé. Microsoft, Google et Apple ont pour projet de centraliser des données des patients américains. Ce programme porté par le système d’assurance santé fédéral Medicare est également soutenu par des organismes de complémentaires santé, des assurances et des professionnels de santé.
Il doit permettre aux usagers du système de santé américain Medicare d’accéder à l’ensemble de leurs données de santé sur une plateforme unique alimentée par les données des GAFAM, des états fédéraux, des assureurs et des professionnels de santé.
Les colosses du web ont donc de grands projets en ce qui concerne la vie numérique des patients américains, mais également pour tous leurs utilisateurs mondiaux, a plus ou moins long terme. Reste à connaitre les modalités de sécurité et de confidentialité que ces géants (qui se sont déjà, pour la plupart, construit une assez mauvaise réputation en cette matière) mettront en place pour protéger les données personnelles des patients.
Comment articuler nécessaire besoin de démocratiser la télémédecine (lutte contre les déserts médicaux et pour l’accès aux soins) et respect de la confidentialité des données personnelles de santé ? La CNIL, pour sa part, a d’ores et déjà annoncé qu’une de ses priorités pour l’année 2020 sera le contrôle de la sécurité des données de santé.
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-Alexis CORNILLEAU
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« GENERALISATION DE LA TELECONSULTATION », dossier de presse de l’assurance maladie, 15/09/2018
« L’institut Carnot CALYM construit le premier datalake thématique dédié au lymphome, destiné à la recherche académique et partenariale », 16/05/2019
« La clinique virtuelle d’Amazon accessible à ses employés de Seattle » , 19/02/2020
« Mayo Clinic, Google Partner On Digital Health Analytics », 10/09/2019